Je précise en guise de préambule que je n’ai aucune prétention universitaire, ni même spirituelle.
Je suis tout simplement passionnée par ces enseignements.
La voie Tantrique m’a rencontrée il y a vingt années de cela… et je me suis laissée saisir instantanément.
Les Origines
Les origines du Tantrisme sont nébuleuses : d’énormes zones d’ombres demeurent, nonobstant de nombreuses découvertes archéologiques et linguistiques.
Le Tantrisme (ou Shâktisme) tend toutefois à s’apparenter aux cultes naturalistes et gynécocratiques d’Asie, d’Afrique ou du bassin Méditerranéen Antique, datant de la période pré-védique, antérieure à l’invasion aryenne – avant l’hégémonie patriarcale que nous connaissons.
Il apparaît fort probable qu’il ait pris sa source dans la religion multimillénaire consacrée à la Déesse.

On retrouve des symboles de rituels Tantriques dans la culture d’Harappa – civilisation de la vallée de l’Indus au 3e millénaire avant notre ère – sous la forme d’objets liés au culte de la Déesse et à la fertilité.
Parmi les objets extraordinaires figure une yoginî en bois, en posture de méditation, qui montre son sexe ouvert. Cette sculpture a été datée au carbone 14 de 2 400 ans avant notre ère.
On peut constater – en des temps plus récents de l’histoire indienne, comme dans bien des régions où le culte d’une divinité mâle s’est substituée à une religion féminine – la survivance du culte de la Déesse chez bien des gens, en particulier ceux qui vivent dans certaines zones reculées.
Le culte d’une divinité féminine apparaît encore distinctement en Inde en l’an 600 de notre ère.
La Déesse est omniprésente dans les Puranas et les Tantras, sous de nombreuses appellations ; mais celle de Devi – qui signifie simplement « Déesse » – les résume toutes.

« Om Adisaktiyai namah » Salutation à celle qui est l’Adisakti, la force primordiale créatrice de chaque chose qui la maintient existante.
Sri Lalita Sahasranama, vers 615 – Swami Tapasyananda (translittération 2002)
Ce texte peut être considéré comme un culte à la Mère Divine, en ce qu’elle représente l’énergie spirituelle universelle ; il est un pilier central de la mystique et l’alchimie yoguique indienne.
Lalita est le diminutif de Lalita-Ambika – « la joyeuse » qui crée, maintient, et détruit le monde.
Ce stotra énumère les mille noms de la Déesse (à travers mille namas, ou stances), célébrant ainsi chacun des aspects particuliers de la manifestation.
Écrit en Sanskrit, ce texte sacré fait partie du Brahmanda Purana, une ancienne écriture qui explore la création cosmique et l’ordre divin de l’univers. Les noms décrivent les différents attributs, réalisations et symbolismes de la déesse sous la forme de Mantras généralement chantés ou chantés comme un hymne.
Transmission
L’essentiel de cette Tradition initiatique et secrète qu’est le Tantrisme, a été transmise de vive voix, « de bouche à bouche »… « de souffle en souffle » (vaktrât vaktrântaram).
Bien que l’on puisse estimer approximativement la date d’un texte, cela ne prouve en rien que son auteur fut l’inventeur de l’enseignement originel – car la Tradition Tantrique est surtout orale ; toute une lignée de guru aura probablement précédé le scribe.
Pour les Indiens, l’ouïe prime sur tous les autres sens : l’homme instruit n’est pas celui qui a beaucoup lu, mais celui qui a beaucoup « entendu ».
La Parole, éternelle et Divine, l’emportera toujours sur l’écrit.
La transmission orale des Tantras est bien antérieure à leur rédaction – certainement « pré-aryenne » selon certains chercheurs. Les Arya – clans indo-européens venus du nord – pénétrèrent l’Inde par le Penjâb vers – 2 000 ans av. J-C, nous dit-on… à moins que cela ne soit bien plus tôt (l’hypothèse d’une civilisation « suméro-dravidienne » est posée).
Ces rudes nomades soumirent les autochtones de l’Inde – Dravidiens ou proto-Davidien, peuple « noir » bien plus civilisé que les conquérants, qui vénéraient un culte aux « déesses mères ».
Les plus anciens Tantras conservés datent du 4e siècle ap. J-C. (dynastie des Guptas, l’âge d’Or de l’Indianité), tandis que les plus récents ont moins de deux cents ans (Inde Anglaise de l’époque Victorienne).
Cela donne une petite idée de la profusion de littérature Tantrique qui a pu de déployer en l’espace de vingt siècles ! Sans compter les textes que l’on ne connaîtra jamais, car la plupart ont été perdus ou détruits. Certains traités, rédigés en langues vernaculaires (dialecte), n’ont même jamais circulé.
La doctrine écrite n’est certes mesurable qu’en référence à la datation des documents retrouvés, mais ses fondements sont aussi vieux que le monde.
Dans la cosmographie Hindouiste, l’Inde se situe au centre du Jambudvîpa – continent où réside notre Terre, lui-même au centre du Madhyaloka, partie médiane de l’univers où résident les êtres humains.
C’est spirituellement que l’Inde est à la fois « centrale » et « primordiale » ; c’est en cela que toutes les traditions sacrées de notre monde apparaissent plus ou moins périphériques, dérivées, ou incomplètes en comparaison.
Et « quand on est au centre du monde, on rayonne… mais on n’éprouve guère le besoin de porter activement la lumière, ni moins d’aller la chercher ailleurs ; on se contente d’accueillir les cultes étrangers tant qu’ils ne dérangent pas, ou de les absorber lorsqu’ils deviennent menaçants. » Pierre Feuga

Tantra / Tantrisme
Le mot « Tantra » s’est imposé comme le terme générique employé pour nommer la voie du Tantrisme et ses innombrables traités.
Je vais toutefois privilégier le terme « Tantrisme » pour désigner la doctrine, les pratiques et la voie – puisque le terme Tantra se réfère aux ouvrages à proprement parler : les « Tantras ».
Du reste, il n’y a pas un Tantra, mais des Tantras.
Pierre Feuga se demande même s’il existe un seul Tantrisme…
On parle de ‘Tantra’, comme on parle de ‘Yoga’, au singulier et en un terme réduit, sans prendre la mesure des constellations spirituelles infinies, extraordinairement riches et multiformes, que ces univers engendrent et engloutissent.
Tissage
Le terme Sanskrit Tantra évoque le symbolisme du tissage : il signifie « tissu », dans l’armure que constituent sa chaîne et sa trame.
Un Tantra serait « ce par quoi la Connaissance est étendue » : tanyate vistrîyate jnânamanena iti tantram.
Cette connaissance est le fruit d’une intuition directe, pure et transcendante, que les Tantras ont pour vocation de « dérouler » et de « tisser » dans un continuum – aussi bien de manière spatiale (horizontale), que de manière temporelle (verticale).
Néo-Tantrisme
Les doctrines et les techniques se mêlent, s’entrecroisent et se contredisent, avec une profusion aussi fascinante que déconcertante. Parmi les traditions qui nous sont parvenues de l’Orient depuis environ un siècle et demi, aucune n’est plus méconnue et incomprise que le Tantrisme.

Le fondement des préceptes du Tantrisme insiste sur la « Libération » à travers l’exaltation du corps (et du sexe), le mépris de la morale ordinaire et l’anticonformisme social.
Or l’Occident a priorisé le principe de « libération sexuelle » (aussi illusoire soit-elle), favorisant des enseignements ayant recours à l’érotisme comme voie d’appel et visée initiatique.
Le Tantrisme reste toutefois insaisissable et impossible à définir, puisqu’il joue avec les marges.
Bien que ses enseignements soient copieusement ritualisés, il ne s’agit pas d’une religion puisque le dogme lui fait défaut. Ce n’est pas non plus une philosophie, même si l’on y retrouve certains principes métaphysiques. La philosophie étant une démarche qui vise à la compréhension du monde et de la vie par une réflexion rationnelle et critique – ce que n’est pas le Tantrisme.
L’esprit du jeu
L’Esprit des Tantras est joueur et créateur, se servant inlassablement des formes pour se dégager des formes, nous invitant à jouir de ce monde, sans être attaché à ce monde.
Il est tentant de reconnaître une substance magico-spirituelle et « supra-humaine » aux Tantras, tant les sages qui en sont à l’origine ont été divinement inspirés.

Étonnante efflorescence spirituelle
La littérature Tantrique est abondante et disparate.
Elle comprend les textes des Tantras, mais également d’autres ouvrages « tissés » par plusieurs lignées ininterrompues de Maîtres et de disciples pendant une vingtaine de siècles – tels que les Âgamas shivaïtes, Samhitâ vishnouïtes, Nigama, Upanishad… Les Âgamas (littéralement « ce qui est descendu ») ne trouvent toutefois pas tous leur inspiration dans le Shivaïsme. Et si l’enseignement y est en principe dispensé par un dieu à une déesse, dans les Nigamas, c’est plus fréquemment la Shakti qui instruit son partenaire masculin.
La forme des enseignements
L’agencement des Tantras obéit à une « forme ».
Au début de presque chaque traité, la déesse ou le dieu supplie son/sa partenaire de lui révéler le Suprême Secret de la Connaissance.
L’enseignement couvre un très large champ d’informations : depuis la métaphysique, en passant par les techniques du Yoga, les pratiques liturgiques et rituelles, jusqu’aux règles du comportement individuel.
Le Tantrisme se veut ouvert à tous.tes, sans distinction de caste, de race, de sexe ou de croyance.
Cette « ouverture » est néanmoins compensée par une très grande exigence initiatique, une discipline du secret, et une ascèse spécifique – une « ascèse » (au sens Grec d’entraînement méthodique) et non un « ascétisme » puisque les Tantrikâ contestent l’efficacité de ce qui brime le corps.
Rédigés en langue « crépusculaire » (sandhyâ bhâshâ), à significations multiples, les Tantras sont impossible à déchiffrer sans la connaissance de certaines clés. Ce qui est bien entendu souhaité, car l’essentiel n’est pas de les saisir intellectuellement, mais à travers la pratique et l’expérience directe.
Au regard de cela, le caractère apparemment « ouvert » du Tantrisme fait illusion.
Un Culte dédié au Féminin
C’est aux Aryens que l’on doit le Veda, le Sanskrit, le système des castes et la notion de dharma (l’ordre socio-cosmique)… mais c’est au substrat autochtone qu’il convient de rapporter la vénération du Linga (phallus) et de la Yoni (vulve), symboles respectifs de Shiva et de la Grande Déesse ; le culte du taureau ; les rituels et les pûjâ ; l’adoration de Rama et de Krishna (héros « noirs » de l’époque Dravidienne)… le Yoga lui-même semble de souche pré-aryenne.
Le Tantrisme Shivaïte Cachemirien tient la femme en haute estime ; celle-ci a accès aux enseignements au même titre que les hommes.

Les adeptes du Tantrisme vouent un Culte au féminin divin – la Shakti – en tant que Mère Universelle et Amante initiatrice.
L’énergie féminine, au lieu d’être un obstacle tel que vécu dans notre société patriarcale, devient l’alliée, la puissance opérative de l’adepte.
En cela, l’enseignement Tantrique est « révolutionnaire », voire « hérétique » du point de vue de la tradition védique, car il vient raviver les anciens cultes pré-aryens.
Certains Tantras indiquent également que la voie de l’Énergie Suprême est ouverte « même aux neutres » (napunsaka) – sous-entendu les eunuques et les personnes homosexuelles, précisant que la mutilation physique n’altère en rien la virilité intérieure.
Kali Yuga
Les Tantras se présentent comme une forme d’enseignements tout spécialement destinés au Kali Yuga – dernier des quatre âges du cycle humain actuel, que l’on compare souvent avec l’« Âge de Fer » de l’Antiquité gréco-romaine et l’« Âge du Loup » de l’Edda Nordique.
Le Kali Yuga se caractérise, selon la doctrine hindoue, par une dissolution de toutes les formes spirituelles, éthiques et sociales, et par un éloignement sans cesse croissant et de plus en plus accéléré du principe divin.
Notre époque entière est tantrique, dans la mesure où elle a réveillé une énergie qu’elle est de moins en moins capable de maîtriser.
La situation de l’homme « moderne » est celui d’un homme « déchu ».
Le Tantrisme est optimiste, en cela qu’il croit que chacun peut parvenir à la Libération suprême par des éveils spontanés.
La médication qu’il propose… est de transformer le poison en remède.
Kâlî, l’énergie ténébreuse, abyssale, qui « dormait » aux époques antérieures, est maintenant complètement réveillée !
Cette Shakti, quand elle n’est pas intégrée et maîtrisée, et quand elle se disjoint de son pôle spirituel, son époux Shiva, peut devenir une puissance dévorante et mortelle pour l’être humain, comme pour le Cosmos.

On ne décèle pas dans le Tantrisme d’intention de renverser l’ordre établi, car il n’a pas de vocation politique ou sociale.
S’il fait fi des distinctions formelles et des conventions morales, c’est au nom d’un « anarchisme » transcendant.
La Royauté du Tantrikâ s’exprime à travers la libération de toute dépendance vis-à-vis des conventions politiques, sociales et religieuses.

« Debout, Femme Royale
Prête à offrir vin, viande et plaisir des sens !
Lorsque tu connais l’état suprême
Tout est réuni au cœur de la non-dualité. »
— Lalla
Chacun devrait pratiquer le Tantrisme aujourd’hui, étant donné qu’il représente la forme spirituelle ultime du cycle que nous traversons… mais bien qu’il soit « ouvert », cet enseignement brûlant n’est toutefois pas accessible à tout le monde.
La Bhakti – la voie de l’amour inconditionnel – plus récente, convient mieux à la plupart des hommes et des femmes de notre époque, car elle est plus « facilement entendable » et compréhensible.
Karen Cayuela
Bibliographie :
Cent Douze Méditations Tantriques – Pierre Feuga
Tantrisme – Pierre Feuga
Quand Dieu était Femme – Merlin Stone